- C’est comme de la téléphonie ou une sorte de polyphonie qui aurait peur de finir en cacophonie.
- Quoi ?
- Une symphonie où les instruments viennent de tous les pays mais qui nécessite parfois de l’orthophonie.
- Ça suffit ! Tu nous embrouilles. Qu’est-ce qui t’arrive ?
- Depuis que j’ai quitté ma forêt, mes frères, les hauts de mon île et que nous avons été assiégés, en ville, par les armées de ce dictateur, comme l’Ukraine aujourd’hui, je ne suis plus le même… Finie l’insouciance. Avant, je me fondais dans le paysage, j’arborais les couleurs de tous les drapeaux, mais j’ai dû fuir, m’exiler, prendre le chemin de l’exode, prendre la mer avec mon ami Babouc, oublier notre patrie et hisser le drapeau noir de la révolte, loin de ces terres de désolation.
- Avez-vous trouvé une nouvelle terre ?
- Oui. Nous avons longtemps dérivé, comme une coco, avant d’échouer notre esquif sur une graine éparse d’un chapelet d’îles… Nous n’avions plus rien d’autre que la langue que nous partagions. Ce n’était pas une langue guerrière, conquérante, belliqueuse, armée et meurtrière comme le furent nombre de langues colonisatrices… non, c’était une langue douce, murmurée, tissée d’écume et de bruissements de nuit, une langue pour les cœurs, une langue immémoriale et ouverte à tous les échos. La langue des hommes paisibles.
- Serait-ce cela la francophonie ?
- Le souvenir que j’ai de la Cophonie, c’est une salle de classe dévastée par les militaires et une carte de géographie conchiée par les cafards : Nion, Yotte, Yane, Nésie, Loupe, Nique… Roc, Isie, Eroun, Inée, Iger, Go…Une carte qui était le territoire d’un traître…
- Ah oui ! Margouillat le collabo… Ce n’est donc que cela pour toi, la francophonie ?
- C’est une géographie imaginaire, une carte mentale… Les graines accostées sur notre île avaient de beaux noms… Senghor, Césaire, Adonis, Maunick, Métellus, Schéhadé, Albany, Condé, Khoury-Ghata, Depestre, Norge, Tremblay, Rabemananjara… Et la mangrove qu’elles ont ainsi tissée est florissante et fertile. Pour te répondre clairement, je citerai mon ami Léopold Aimé Ali Edouard Jean Georges Jean Maryse Vénus René Georges Michel Jacques Babouc qui a dit : « La francophonie, c’est une blessure qui a fini par fleurir. »
- Merci Kaniki. Je rappelle que nous pouvons découvrir le récit de tes aventures dans un album publié chez Orphie.
- Ça même mounoir : Kaniki l’endormi, une histoire qui réveille !
©Texte de Stéphane Amiot, auteur de Kaniki l'endormi.